Entretiens

Pierre Garel : « Le Hangar 11 était un atelier collectif »

Après 14 ans d’existence, cet espace de monstration de l’art à Ouagadougou a fermé. L’un de ses promoteurs explique ici l’esprit du lieu et fait le bilan d’une initiative indépendante qui a consolidé l’expression de l’art contemporain au Burkina Faso.

En juin 2020, vous avez fermé les portes du Hangar 11. Qui existait depuis février 2006. J’imagine que c’était à contre cœur ! Qu’est-ce qui vous a décidé à le faire ?

Nous avons en effet fermé contre notre gré, et dans un sentiment de colère, puisque c’est juste après que nous ayons eu fait des aménagements conséquents que le propriétaire nous a mis à la porte pour mettre en vente sa cour. Après 14 ans ! Le rachat étant hors de notre portée, nous avons ramassé nos billes, et décidé d’attendre un moment avant d’éventuellement retrouver une autre cour, mais ce sont les moyens qui nous manquent actuellement.

Avant de poursuivre, peut-être serait-il plus intéressant d’expliquer les motivations qui ont poussé un enseignant à ouvrir un espace de ce type. Etait-ce seulement par amour pour l’art ?

Ce n’est pas en tant qu’enseignant mais en tant que plasticien que j’ai eu cette envie, car si j’enseigne les arts plastiques pour vivre, ma passion est la création. J’étais au Burkina Faso depuis quelques temps, et j’avais à cœur de participer à la dynamique créatrice montante au début des années 2000. Je connaissais déjà de nombreux artistes, et c’est d’abord avec Blanche Ouédraogo et Christophe Sawadogo que nous avons décidé d’ouvrir un atelier collectif qui pourrait devenir un pôle de la création en arts plastiques, parce que si de tels lieux existaient déjà pour l’artisanat avec le centre national d’artisanat d’art (CNAA) et le Village Artisanal au Siao, il n’y en avait pas concernant les arts plastiques contemporains. Comme j’accueillais déjà plusieurs étudiants en arts de l’Institut national de formation artistique et culturelle (INAFAC) dans mon atelier personnel, ceux-ci ont participé avec enthousiasme à la mise en place du lieu – C’est l’un d’entre eux, Hyacinthe Ouattara, qui a trouvé le nom «Hangar 11». Avec un vieux hangar traditionnel en plein milieu de la cour, on faisait aussi référence aux lieux européens les plus modernes occupant des friches industrielles ! Le «11» était le numéro de notre quartier… Malheureusement, Blanche et Christophe se sont vite retirés, n’étant pas à leur aise avec ce groupe de jeunes avec lequel ils ont dû me trouver plus en phase qu’avec eux-mêmes, déjà installés professionnellement.

Quelle philosophie avez-vous, avec vos amis, insufflé à ce lieu incontournable de la scène de l’art contemporain à Ouagadougou, voire au-delà ?

Le Hangar 11 était vraiment un atelier collectif, autogéré et sans directeur en tant que tel. Même si j’étais à son origine, et considéré comme son mentor, avec, à 40 ans, une expérience et une culture de l’art contemporain que les jeunes de 20 ou 25 ans n’avaient pas, c’est bien un collectif d’artistes qui a géré le lieu, ce que Hyacinthe, Harouna Ouédraogo et Sylvo Zoungrana ont très vite compris. Notre but était de s’échanger des idées en travaillant ensemble, d’ouvrir le lieu à des artistes de passage, d’y organiser des expositions collectives dans et hors-les-murs pour nous faire connaître, et surtout de s’inscrire dans des démarches résolument contemporaines, dans un pays où l’art dit moderne était surtout une pratique plutôt décorative destinée aux expatriés. Nous avions écrit une sorte de manifeste, qui pouvait se résumer par la formule finale : «Nous voulons restituer une image de notre monde plus expressive que décorative, plus étonnante que rassurante, plus engagée qu’aveuglée».

Maintenant que Hangar 11 n’est plus, avez-vous le sentiment d’avoir atteint vos objectifs initiaux ?

Oui ! Nous y avons tant créé, et organisé de nombreux évènements, expositions ou actions expérimentales, davantage que d’autres lieux grassement subventionnés ! Le public était parfois vraiment nombreux et les derniers temps, on rivalisait aisément en affluence et en qualité avec les expositions de l’Institut Français. Il faut dire qu’il y a très peu de vrais lieux de monstration d’art au Burkina (je ne parle pas des divers restaurants ou hôtels), et nous avons à cet égard joué notre rôle de centre d’exposition. On a besoin d’argent pour monter des événements, mais aussi d’idées, et des idées on en avait. Celles de décloisonner l’art par exemple. Je me souviens d’expositions-miniatures dans les cabarets de Dolo du quartier ! On a aussi aidé à lancer des artistes qui ont maintenant une carrière internationale établie, comme Hyacinthe, Harouna ou Casimir «Caszi» Battiono. Souleymane Barry et Adjaratou Ouédraogo ont aussi passé un temps dans notre espace. Sylvo et Laurent «Lolito» Sawadogo y ont développé toute leur œuvre foisonnante. Le revers de la médaille est que les quatre premiers étant maintenant installés à l’étranger, on a ainsi participé sans le vouloir à une certaine «fuite des cerveaux» alors que nous voulions surtout donner une raison de rester au pays… Mais à qui jeter la pierre quand on vit dans un pays quasiment sinistré dans le domaine ? Marché, lieux, critiques, journalistes spécialisés, débats de fond sont presque inexistants. Les Institutions ne font pas leur travail : un Musée National fantôme, pas d’espace municipal, des subventions toujours confisquées par les mêmes, pas de formation ni d’école d’art (l’INAFAC n’est qu’un pauvre pis-aller inutile et les artistes ici se forment surtout sur le tas).

Quelles victoires avez-vous enregistrées au cours de l’existence de Hangar 11 ?

La principale victoire, c’est d’avoir tenu aussi longtemps, de ne pas avoir déçu ses visiteurs et soutiens moraux. C’est aussi, je dirais, d’avoir inquiété certaines institutions et artistes «arrivés». Je me souviens du doyen Ki Siriky se méfiant de nous en argumentant que «les installations, performances et vidéos sont des trucs de blancs qui n’ont pas leur place au Faso». Il a d’ailleurs, comme d’autres, été soulagé d’apprendre notre fermeture. Mais maintenant, un peu grâce à nous, ces formes d’art existent dans le pays et se développent ! Elles ont leur raison d’être.

Quel impact cet espace a-t-il eu sur la créativité au niveau de Ouagadougou et du Faso ?

Je crois que c’est surtout d’avoir ouvert les yeux sur la possibilité de créer autrement. Mais l’inertie est grande, et acheteurs obligent, les artistes continuent globalement à se réfugier dans les petites sculptures de salon et les acryliques sur toiles. Je reconnais que notre impact reste assez confidentiel puisque la majorité des artistes et acheteurs continuent à réagir comme d’habitude. Mais le ver est dans le fruit… Contre nos détracteurs qui doutent de la pertinence de faire de l’art contemporain engagé dans un pays du Sahel, je dis que même si le cinéma ou le livre (je suis un amateur de littérature africaine et de cinéma, je ne rate aucun FESPACO !) au départ sont d’importation étrangère, les Africains, et entre autre les sahéliens, s’en sont emparés avec brio pour se raconter au monde entier, et à eux-mêmes. L’art contemporain est aussi un miroir, expressif, vrai, sans concession de la société, de ses complexités et de ses soubresauts.

De quels accompagnements avez-vous bénéficié durant la période d’existence de Hangar 11 ?

Nous fonctionnons sur fonds propres – réinvestissement d’une part des ventes, assez peu nombreuses certes. Nous n’avons bénéficié en 15 ans d’aucune subvention. Nous ne l’avons pas cherché pour rester indépendants. Nous avons eu quelques aides privées ponctuelles pour organiser tel workshop ou telle expo, mais ça ne dépasse pas les 5 millions en 15 ans…  autant dire rien. Sinon, on a été très soutenus par l’Institut Goethe, ou la Villa Yiri-Suma (l’espace privé de rencontres culturelles de Lucien Humbert), avec qui nous avons collaboré régulièrement. Sylvo Zoungrana a organisé des projets avec des ONG de lutte contre le VIH, le paludisme ou la tuberculose. Les institutions nous ignorent, et beaucoup d’artistes nous considèrent comme des concurrents… Mais certains, moins crispés sur ce petit monde qui se jalouse, ont collaboré avec nous – Abou Sidibé, Sam Dol, Koffi Mens, Patrick Agbowadan, Moussblack…

Quelles activités organisiez-vous dans cet espace ?

Le Hangar 11 était d’abord un atelier de travail pour ses artistes, mais on y a organisé aussi des workshops thématiques pour artistes, ou week-ends de formation aux aspects essentiels de la création contemporaine – médium, matériaux, message, combinatoire… –  animés par des intervenants extérieurs et nous-mêmes, mais on a surtout monté une soixantaine d’expositions, de rencontres expérimentales alliant arts plastiques et musique, ou danse, ou lectures… On a aussi accueilli en résidence des artistes de passage comme Livia Deville, Bernard Pras, Yakin Aladassi, Yapo, Malick Bonduelle… Dernièrement, nous avons participé au Off de la Biennale Internationale de Sculpture de Ouagadougou (BISO), et avons organisé un workshop et une expo d’artistes femmes engagées.

S’il vous était donné l’occasion de rouvrir, à quelles conditions le ferez-vous ?

Je crois que ce serait d’abord avec la garantie d’être un groupe soudé aux idées communes, mais aussi de pouvoir être, cette fois-ci, soutenus financièrement pour éviter le découragement et de tirer le diable par la queue, pour pouvoir plus facilement inviter des artistes d’Afrique, car ce qui manque assez cruellement surtout en Afrique francophone, c’est des échanges de liens, de rencontres entre la fine fleur de la création africaine d’aujourd’hui. Il faut créer un réseau sud-sud pour éviter d’être si dépendants de l’occident.

Recueilli par Parfait Tabapsi à Ouagadougou

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