Critiques

Arts et numérique : Le parti-pris de Christian Nana

Avec « Crypto Mask », le conservateur du musée la Blackitude, qui pousse de plus en plus la porte de l’art, ouvre de nouvelles perspectives pour les masques camerounais. Il était en exposition à l’espace Métamorphosis en fin d’année 2022.

Après les expositions photographiques 819.Canada en 2020 et Haschtag Canada en 2021, Christian Nana est revenu au-devant de la scène dans une tout autre pratique artistique avec Crypto Mask à l’espace culturel Métamorphosis à Yaoundé, en octobre-novembre 2022. A travers cette installation multimédia, l’artiste pose un regard transversal sur le masque à la convergence de l’art traditionnel africain, les métaphores actuelles de ses usages et le codage de ses expressions nouvelles dans l’espace numérique.

A l’ère du couple réel et virtuel, nous évoluons dans notre monde comme une espèce d’hommes-masques ou masqués. Il est ainsi de plus en plus difficile de distinguer l’homme-fake de l’homme vrai. A cet effet, Nana s’offre une liberté déconcertante, d’écart et de détournement des masques anciens africains issus des collections privées du musée La Blackitude et de certains particuliers. On peut ainsi vivre le masque bamiléké Kungang hors de sa fonction rituelle dans les sociétés secrètes, mais aussi dans une présence presque d’extra-terrestre avec des orbites d’un rouge vif produits par un dispositif électrique. Le masque acquiert par cette transmutation une nouvelle notabilité. A se demander finalement de quelle époque, de quelle esthétique, de quel lieu il est donc finalement.

C’est en convoquant le dédoublement de notre esprit qu’il faut d’abord faire face à un cadre-écran pour regarder les masques Kwele, Ngil Fang, Fon Ri Foum et bien d’autres dans leur intime originalité, beauté et majesté. Nana va plus loin que le masque cultuel ancien, en se saisissant d’autres formes de masques qui structurent de plus en plus nos nouveaux modes de vie. Il met opportunément en exergue des casques pour moto. Cet outil sert de tête à une statue, dont la visière transparente fait apparaitre un circuit de fils électriques rouges entremêlés. Un autre casque est présenté, visière entièrement repeinte au logo du réseau social Facebook. Il persiste donc chez l’artiste une remarquable appréhension de l’être humain africain dont la personnalité s’adapte à la succession des temporalités sans pour autant aliéner son essence.

L’expo se prolonge allègrement dans l’espace numérique. Il suffit au spectateur de scanner, avec son smartphone, un code QR qui le renvoie au site internet de l’expo. Les masques générés sont plutôt de forme animée, et d’une autre esthétique émotive du langage des faciès. Il s’agit d’un parti pris idéologique et artistique d’une présence dans le monde numérique de l’Africain avec des contenus référentiels de sa culture. Crypto Mask a ainsi le mérite de nous dévoiler à la fois les protagonistes de l’immédiateté du réel et de la médialité du virtuel. Comme le dit si bien l’auteur de l’exposition qui s’est entouré du scénographe Fleury Ngamele, « les masques nous disent des choses et ces mêmes masques peuvent nous dire autre chose ».

Martin Anguissa

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