Idées

Soleils et éloge de la planification (I)

En 1961, soit un an après l’accession à la souveraineté nationale, les autorités ivoiriennes et le pouvoir français signent un protocole dit «accord de défense». Cet acte, considéré comme la remise en cause de soixante-sept ans de résistance à la domination exogène (1893-1960), pousse certains analystes à poser Houphouët-Boigny comme une figure d’opposition à la souveraineté nationale. Mais une lecture sereine du contexte historique permet de prendre la mesure de ce que le président ivoirien ne possède, en 1961, aucune option plus conséquente que celle de signer l’acte dit de défense.

En fait, bien qu’ils aient lutté pour acquérir leur indépendance politique, les états africains, dont la Côte-d’Ivoire, ne se sont pas suffisamment dotés de moyens de sauvegarde et de pérennisation de la liberté conquise.

Si les indépendantistes ont, en effet, combattu les hordes esclavagistes, ont-ils, dans chacun des Etats nouvellement indépendants, prévu la centaine de diplomates nécessaire à la représentation de leur pays auprès des chancelleries mondiales ? De combien de spécialistes en santé publique, en macroéconomie, en stratégie militaire ou en droit international disposent, par exemple la Côte-d’Ivoire, le Mali ou le Cameroun, pour conséquemment faire face aux exigences d’une marche au sein du concert des nations ? Les indépendantistes ont-ils articulé leur combat politique à la quête des moyens techniques nécessaires à un exercice souverain du pouvoir ?

Or, le niveau d’organisation scientifique d’une communauté détermine, pour l’essentiel, l’état de ses libertés. Que l’empire ait pu reprendre pied, par exemple, au cœur de la souveraineté ivoirienne est le fait d’une réalité unique, en 1961 : l’absence d’un cadre rationnel de sauvegarde et de pérennisation des libertés, l’inexistence de mécanismes et de relais anticipatifs, conséquemment structurés.

Le président Houphouët-Boigny sur le perron de l’Elysée avec Jacques Foccart.

Au moins quatre autres épisodes de l’histoire de la Côte-d’Ivoire contemporaine témoignent de rendez-vous manqués. Un fil d’Ariane parcourt ces évènements : alors que l’empire combat sur la base d’une démarche codifiée, les forces souverainistes donnent très généralement le sentiment d’affronter l’adversité sur un mode aventureux.

1. Du discours de la méthode à l’appel de la Baule

Contraint au «fair-play» en 1961, Houphouët-Boigny a, pourtant, une pleine conscience des enjeux et antagonismes de son temps. Il investira une part capitale des revenus nationaux dans la formation d’une élite compétitive. En une génération, la Côte-d’Ivoire pourra se vanter de posséder une ressource humaine susceptible de mener la marche d’une nation souveraine. Le président Ivoirien croit alors bon, en 1985, de dénoncer, un empire colonial qui s’abrite derrière le masque dissolvant de la spéculation boursière. La détérioration des termes de l’échange assène un coup sévère au processus de formation hardie opéré par Houphouët-Boigny. Le président ivoirien la dénonce, en 1985, sans avoir, hélas, pris la peine de contenir le front social ni d’avoir vraiment réussi à vider le contentieux de la disparition mystérieuse des opposants Ernest Boka et Christophe K. Gnagbé.

Pareillement, aucune démarche anticipative n’est vraisemblablement menée sur la question de l’autonomie monétaire, alors qu’Houphouët ouvre symboliquement le front du débat économique, en dénonçant la spéculation et la détérioration des termes de l’échange. Au discours de la méthode, prononcé par d’Houphouët en 1985, fera écho le discours de la Baule de Mitterrand, 5 ans plus tard. Les années qui suivent, la Côte d’Ivoire, et treize autres compagnes d’infortune, subiront les affres de la dévaluation du francs CFA, non sans avoir essuyé les rigueurs de fameux «plans d’ajustement structurels».

oleils et éloge de la planification (I)
Les présidents Ouattara (à gauche) et Konan Bédié.

Avions-nous, en 1985, suffisamment mesuré l’écho d’une critique ouverte de la détérioration des termes de l’échange ? Avions-nous eu raison de faire reposer notre économie sur le seul secteur primaire, alors que les secteurs secondaires et tertiaires auraient permis de contourner les pièges corrosifs de la spéculation ?

2. De la fronde réprimée du Sphinx

Succédant au bélier de Yamoussoukro en 1993, Bédié est un homme conscient des problématiques en discussion. Témoin d’une privatisation accroissant l’extraversion de l’économie ivoirienne, il croit devoir mobiliser la nation autour d’une réaffirmation du socle endogène. Or, dans de tels accents perce l’écho risqué du discours du S.A.A. des années 40, mais aussi les conjonctions à peine remaniées du discours de la méthode, de 1985. L’effet ne se fait pas attendre : pressions souterraines et virulentes campagne médiatiques, Bédié se retrouve sous les fourches caudines d’une opinion occidentale le dépeignant sous les traits surréalistes du chef ségrégationniste et autoritaire.

Cette campagne de presse brouillonne, mais non moins corrosive, en fait paradoxalement un personnage sans autorité que mène par le bout du nez un essaim de faucons. En fait, sous le pouvoir Bédié, sont mis pour la première fois en débat les monopoles des entreprises de l’empire. Quelques voix hardies professent qu’elles ne devraient plus être les seules à revendiquer des parts essentielles de l’économie ivoirienne. C’est au sein de cette tension que la Chine bâtit en Côte d’Ivoire un impressionnant palais de la Culture et que l’on évoque la prochaine construction d’un pont gigantesque par les soins d’une entreprise chinoise. Ce qui ne semblait être qu’un discours en 1985, passe à présent pour être de l’ordre de la mise en œuvre. Cela ne peut être sans conséquence.

Or, le sphinx de Daoukro a-t-il pris une nette mesure de la remise en cause de la prépondérance impériale ? Si Bédié, économiste de formation, évalue avec justesse la masse monétaire perdue par son pays, a-t-il, en revanche, nettement intégré le fait que la taille des réformes doit déterminer celle des processus de sécurisation ?

Le fait est que le 24 décembre 1999, Bédié est officiellement renversé par l’armée. La phrase de Chirac, au lendemain des évènements, est toute de transparence : «Il est têtu comme une mule» 


3. De la constitution Gueï

Robert Guei qui succède à Bédié apparaît, en premier lieu, sous les traits du réformateur conciliant et docile aux exigences de l’ordre exogène. Mais trois mois suffiront, pour que dans un pays à forte aspiration autonomiste, la voix du chef soit gagnée par l’âme profonde des chaumières. Mais le chef, même s’il émane du peuple, ne doit pas ignorer ceci : il n’est pas le peuple. Il essuiera deux tentatives de coup d’Etat, sans en oublier, pour autant, de doter la Côte d’Ivoire d’une constitution jugée nationaliste. Voté à plus de 80%, le texte fondamental ne parvient paradoxalement pas à réconcilier les deux tendances de la scène politique ivoirienne. Les initiés le savent : les Etats africains sont des ménages à trois et le règlement d’une querelle entre deux conjoints visibles n’est jamais qu’une symphonie inachevée.

4. Du paradigme Gbagbo 

le président Laurent Koudou Gbagbo.

La confrontation entre idéal autonomiste et volonté prédatrice prend une consistance concrète durant le mandat de l’historien Laurent Gbagbo. Alors que le gaulliste Jacques Chirac siège à l’Elysée, un pur produit de la tradition syndicaliste ivoirienne se retrouve au sommet de l’Etat ivoirien. Gbagbo est un homme direct et résolu. Chirac ne l’est pas moins. S’ils semblent s’observer quelques mois, la mésentente ne tardera pas à apparaitre puisque les deux hommes sont séparés par ce que les tenants d’un discours relativiste en science appellent un changement de paradigme.

L’un, Chirac, entend au moins maintenir le rang de la France au sein de ses anciennes colonies, l’autre compte bien souligner que la Côte-d’Ivoire est un Etat souverain et conscient de l’être. Les dix ans que durera son mandat, Gbagbo mettra un point d’honneur à ne jamais participer à ce qui lui semble être une infantilisation des Etats africains : les « sommets France-Afrique ». Estimant qu’un continent n’a pas à être mis au même rang qu’un Etat, il militera pour une réciprocité de traitements avec la France. Gbagbo subira dès la deuxième année de son mandat, une terrible attaque militaire où perdra la vie son ministre de l’intérieur, Me Emile Boga Doudou. Partition du pays et assassinat de civils par une armée étrangère, agissant comme en terrain conquis.

La majorité des observateurs pense que Gbagbo a ouvert la boite de Pandore, en dénonçant ouvertement les tares de l’empire français. Si un tel acte est salué comme un fait de bravoure, le combat qu’initie Gbagbo est-il planifié ? Gbagbo a-t-il un plan clairement coordonné pour combattre une force reconnue pour ne se battre qu’avec méthode, mémoire et structuration ? De quels alliés multilatéraux bénéficie Gbagbo dans un bras de fer engagé contre une force procédant, depuis belle lurette, par infiltration d’organisations régionales et sous régionale, manipulation de médias à grande audience et pression financière de niveau macro-étatique ?

A suivre…

Par Josué Guebo, écrivain, Côte d’Ivoire

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