Chroniques

Le président Macron et ses panseurs

Chronique de notre temps de Kemadjou Njanké Marcel, Raconteur,
Paysan de la littérature

Chaque fois qu’un président français débarque au Cameroun, il vient avec son sportif camerounais de l’heure. On a donc vu par exemple les paires Mitterrand-Noah et Chirac-Milla, comme pour dire qu’un président français ne peut marcher qu’avec une sorte de président pour sportifs. Le président Macron est allé plus loin et a décidé de voyager avec des mages du journalisme déontologique, des musico-littératurge et surtout avec l’icône de la jeunesse camerounaise pré et post doctorante, M. Achille Mbembe, ci-devant apôtre du christianisme et guru de la démocratie telle que ordonnée par le dieu européen qui tourne le dos à l’Afrique et le laisse dans l’enfer parce qu’il n’est pas assez démocratique.

La question que je me suis posée est celle de savoir pourquoi le président Macron préfère rendre visite à Yannick Noah au lieu d’aller visiter un ranch de Danpullo. Vous allez me répondre que le 1er est français et là je suis d’accord. Mais pourquoi n’a-t-il pas fait le voyage avec Ly Dumas, qui est aussi française, qui est la promotrice de la fondation Gacha à Bangoulap et de l’un des plus luxueux hôtels du Cameroun et qui a introduit le ndop industriel chez Hermès à Paris ? La raison est simple : montrer au Camerounais des milliardaires en euros n’est pas une très bonne chose, car le milliardaire est un créateur de richesses et d’emplois alors que le sportif ou le panseur (je l’écris avec « a » et non avec « e ») peut adapter ses points de vue à ses intérêts alors que le milliardaire est un définisseur de priorités et donc n’est pas manipulable. C’est lui qui dit aux politiciens ce qu’ils doivent faire et le président français en est un. Si on commence à montrer aux jeunes camerounais que c’est la production économique qui va le libérer et non prier ou marcher pour la démocratie ou encore porter des maillots pour faire la publicité des riches, l’Afrique va se libérer réellement.

Je vais donc parler de mon expérience avec le panseur Mbembe. Lorsque j’ai annoncé à mes petits frères docteurs des universités que je le voyais comme un panseur, la plupart d’entre eux ont fait des efforts terribles pour ne pas me renier. Les autres qui m’appelaient déjà complotiste anti-français y ont ajouté l’épithète « jaloux ». Comment vais-je être jaloux de quelqu’un que je ne rencontrerai jamais ?  Pour rencontrer la diaspora des teneurs de plume camerounais, il faut aller dans certains coins en Europe ou fréquenter les représentations européennes d’ici comme l’institut français que je ne fréquente jamais ou à défaut, par hasard, à des obsèques. Si cette diaspora rendait visite à Mosaïques qui parle d’eux, peut-être que nous nous serions rencontrés et que j’aurais pu devenir jaloux de leurs parfums ou de leurs vestes mais jamais de leurs succès, car ces succès dépendent des agendas des autres alors que le mien dépend de moi.

Le président français Emmanuel Macron et Yannick Noah au village Noah.

Comment j’ai fait pour découvrir qu’il était un panseur ? J’avais décidé de traduire en pidgin la conclusion de son livre Afriques indociles en pidgin dans le cadre d’un hors-série que Mosaïques lui consacrait. Et c’est à l’issue de cet exercice que, épuisé, je me suis rendu compte qu’il était un fort en thèmes, un lexicaliste très habile quand il faut commenter la pensée des autres. Il peut être un bon professeur parce qu’il est très calé en méthodes mais pas un penseur. Les seules fois qu’il a fait semblant de penser par lui-même ont a abouti à des catastrophes comme l’humiliation de Gbagbo et les bombardements de la Lybie ou encore l’afropolitanisme. Il ne voit son continent que comme une source de carrière limitée à la rencontre avec les trois barbaries (l’esclavage, le colonialisme et la religion) et qui ne peut se recomposer qu’avec et non en dehors.

D’ailleurs, eux qui avaient applaudi les présidents français qui évitaient le Cameroun comme destination officielle ou d’Etat à cause d’une carence chronique en démocratie n’avaient rien fait pour rappeler au président Macron que celui qu’ils appelaient entre autres le dictateur grabataire était encore là.  Ce qui prouve évidement qu’il est un employé des politiques françaises qui bien sûr se chargent de veiller à la diffusion de ses œuvres dans les autres langues. Mais quel est l’impact de ces pansées sur le développement du pays : aucun ! Car la pensée doit côtoyer le quotidien et l’accompagner et non être au-dessus de lui ou le mépriser. On l’a d’ailleurs entendu dire plusieurs fois que la terre Afrique est sous-développée parce qu’elle ne pense pas assez. Mais comment le paradis Europe qui pense tant s’est fait dépasser par la Russie au point qu’un président français en visite en Afrique ne parle dans ses discours que de la Russie qu’il dit pourtant avoir sanctionnée ?

J’ai constaté grâce à de nombreux voyages en Amérique latine que ce que ce monde sait de l’Afrique vient de l’Europe et non d’ici. Voici pour finir un incident afropolitain que j’ai connu au Venezuela, lors de la cérémonie de clôture d’un festival de poésie. J’avais constaté qu’ils avaient choisi un poète par continent pour lire pendant cette cérémonie et je les ai interpellés en bon raconteur pour leur faire savoir que l’Afrique n’était pas représentée. La coordinatrice a répondu que l’Afrique était représentée par Breyten Breytenbach. D’Afrique du sud, le pays afropolitain par excellence, selon M. Mbembe. Je me suis retenu pour ne pas rire. Et puis j’ai étalé mes arguments ainsi. « Si vous dites que l’Afrique est représentée, cela veut dire que pour vous les continents ne sont que des points sur la carte du monde et voilà qu’à une cérémonie de clôture on aura 4 « blancs » plus un « Asiatique ». Pourquoi quand il s’agit de l’Afrique le vocable « noir », le panseur utilise toujours celui de « nègre », ne compte plus ? Pourquoi pour l’Océanie vous n’avez pas choisi un aborigène australien mais plutôt un « Blanc », c’est-à-dire un envahisseur, un habitant récent ? Pourquoi pour l’Amérique vous n’avez pas trouvé un indien d’Amérique ou alors un Noir d’Amérique ? Si vous m’aviez consulté avant de choisir les poètes je vous aurais aidés dans votre logique en vous disant que le Cameroun refuse la double nationalité et que si vous aviez choisi un écrivain français d’origine camerounaise vous n’auriez commis aucune erreur parce qu’il représenterait alors l’Europe sans tricherie… »

La coordinatrice a vite reconnu que c’était une erreur et moi j’ai aussitôt conclu que la seule manière pour moi de réparer cette erreur c’est de ne pas assister à la cérémonie de clôture. Nous étions deux « Noirs » à cette manifestation qui regroupait des centaines de poètes du monde entier et, pour une fois au cours de mes voyages, l’autre noir a été solidaire et il est même allé plus loin, il a quitté le territoire vénézuélien la veille de cette cérémonie de clôture. Et quand je suis venu raconter cet épisode à un de mes amis au pays, la seule chose qu’il a trouvé à dire c’est que je courais le risque de ne plus me faire inviter. Est-ce un risque ? C’est un risque pour ceux qui pansent et non pour ceux qui pensent car celui qui pense et qui est dans le triangle réfléchir-agir-penser qui est le propre de chez nous n’a rien à craindre alors que celui qui panse c’est-à-dire qui est dans le triangle penser-réfléchir-agir aura toujours besoin d’être dans une délégation dite démocratique pour se sentir agir, pour se sentir utile.

Kemadjou Njanke Marcel, Paysan de la littérature

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